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Remise en question du barème « Macron » des indemnités Prud’homales

By 30 janvier 2019juillet 18th, 2019No Comments

Qu’est-ce que le barème « Macron »

Jusqu’en 2017, le Code du travail permettait aux Salariés dont le licenciement était jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse d’obtenir des dommages-intérêts avec un plancher garanti de 6 mois de salaire dès lors que les salariés avaient deux ans d’ancienneté et que l’entreprise employait 11 salariés et plus (article L.1235-3 ancien). Plus encore, si ces deux conditions n’étaient pas réunies, le juge avait toute latitude pour allouer des dommages-intérêts, sans plancher (article L.1235-5). Dans ces deux hypothèses, l’office du juge prud’homal était de réparer le préjudice subi par le salarié du fait du licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse.

Cette incertitude des enjeux financiers liés à la rupture, et le plancher de 6 mois jugé trop élevé, ont souvent été évoqués comme un frein à l’embauche.

Une première réponse juridique est intervenue par la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, qui a inséré dans le Code du travail le principe d’une « indemnité forfaitaire de conciliation » (article L.1235-1 et D.1235-21). L’objectif était, en cas de litige prud’homal, d’inciter employeur et salariés à trouver un accord lors de l’audience de conciliation en fixant un barème lié à l’ancienneté du salarié, cette indemnité bénéficiant par ailleurs d’un régime social avantageux. Cette réponse juridique était toutefois imparfaite car suspendue à l’accord des parties, et l’accord ne pouvant intervenir que lors de l’audience de conciliation, moment de la procédure prud’homal lors duquel employeurs et salariés n’avaient pas encore échangés leurs pièces et conclusions. Elle n’apportait donc pas de réponse au risque judiciaire.

Le législateur a alors intégré dans le Code du travail un barème « indicatif » des indemnités prud’homales (articles L.1235-1 et art. R.1235-22), destiné à sensibiliser les parties au litige prud’homal sur le risque, mais ne liant aucunement le juge prud’homal (loi n°2016-1581 du 23 novembre 2016). Ce dispositif s’est révélé en pratique assez peu efficace.

Le Rubicon a été finalement été franchi avec l’Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, qui a profondément modifié l’article L.1235-3 du Code du travail en encadrant les indemnités prud’homales au sein d’un barème plancher / plafond, le juge était lié par le barème.

Sans évidemment exclure le risque prud’homal, ce barème s’est révélé profondément innovant en ce qu’il a permis aux employeurs de connaitre leurs risques minimal et maximal, en liant le juge par les limites du barème.

A titre d’illustration :

alors qu’auparavant le plancher de 6 mois de salaire était garanti dès que le salarié avait deux années d’ancienneté, sans plafond,
le barème Macron fixe désormais comme plafond 6 mois de salaire aux salariés ayant 5 années d’ancienneté (le plancher étant de 3 mois de salaire).
L’Ordonnance prévoit toutefois que le barème n’a pas vocation à s’appliquer si le juge constate que le licenciement s’inscrit dans le cadre de la violation d’une liberté fondamentale (discrimination, harcèlement, …). Dans cette hypothèse, à défaut de solliciter sa réintégration ou la poursuite du contrat, le juge doit allouer au salarié une indemnité minimale de 6 mois salaire, sans plafond. Retour au système ancien, restituant au juge la pleine appréciation du préjudice et de son indemnisation.

Le barème « Macron » posait évidemment la problématique du cantonnement du préjudice.

Un recours devant le Conseil constitutionnel a été formé à l’initiative de plusieurs députés, aux motifs :

que ces dispositions contreviendraient à la garantie des droits dès lors que la faiblesse des plafonds d’indemnisation prévus serait insuffisamment dissuasive et qu’elle permettrait, en conséquence, à un employeur de licencier un salarié de manière injustifiée;
que serait également méconnu le principe d’égalité devant la loi dans la mesure où le barème fixé par le législateur prend en compte, en ce qui concerne le salarié, le seul critère de l’ancienneté à l’exclusion d’autres critères tels que l’âge, le sexe ou les qualifications, caractérisant son préjudice;
que ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée au droit à être indemnisé d’un préjudice, garanti par l’article 4 de la Déclaration de 1789.

Dans sa décision n°2018-761 du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel a validé la constitutionnalité du Barème Macron, relevant :

que le législateur pouvait valablement aménager, pour un motif d’intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée, ne relevant pas une atteinte pas disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs;
que le législateur a entendu renforcer la prévisibilité des conséquences qui s’attachent à la rupture du contrat de travail, poursuivant de ce fait un objectif d’intérêt général;
qu’il ressort des travaux préparatoires que ces montants ont été déterminés en fonction des « moyennes constatées » des indemnisations accordées par les juridictions;
que conformément aux dispositions de l’article L. 1235-1 du Code du travail, ces maximums ne sont pas applicables lorsque le licenciement est entaché d’une nullité résultant de la violation d’une liberté fondamentale, de faits de harcèlement moral ou sexuel, d’un licenciement discriminatoire ou consécutif à une action en justice, d’une atteinte à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, de la dénonciation de crimes et délits, de l’exercice d’un mandat par un salarié protégé ou des protections dont bénéficient certains salariés;
que la modulation des dommages-intérêts par le critère de l’ancienneté présente un lien avec le préjudice subi.

Dès lors qu’il a été jugé conforme à la Constitution, le Barème Macron s’imposait pleinement aux juridictions prud’homales.

La fronde…

Pourtant, par 3 jugements espacés de moins d’une semaine, 3 Conseils de Prud’hommes ont écarté l’application de ce barème.

Plus particulièrement :

– le 13 décembre 2018, le Conseil de Prud’hommes de Troyes [1] a jugé que le barème :

« ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi »;

n’est pas « dissuasif pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié » et qu’il « sécurise davantage les fautifs que les victimes » et est donc inéquitable;

– dans sa décision du 19 décembre 2018, le Conseil de Prud’hommes d’Amiens [2] en a jugé de même, utilisant la même argumentation que le Conseil de Prud’hommes de Troyes et prononçant l’inconventionnalité de ce barème.

– dans son jugement du 21 décembre 2018, le Conseil de Prud’hommes de Lyon[3] a lui aussi considéré que le barème prud’homal devait être écarté, en ce qu’il ne permet pas une réparation intégrale du préjudice.

Le fondement juridique retenu a été celui de « l’inconventionnalité » du barème, le barème n’étant pas conforme aux règles de droit européen, et notamment à la convention OIT n°158 convention signée par la France et à l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui prévoient le droit pour tout salarié licencié sans motif valable de percevoir une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation appropriée,.

Sur ce fondement, les juges ont donc écarté le Barème Macron afin de retrouver leur entier pouvoir pour d’apprécier et d’indemniser le préjudice réellement subi par le Salarié.

Dans les cas d’espèce, pour allouer des dommages-intérêts les juges ont pris en compte les situations individuelles des salariés :

absence de ressources financières des salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse ;
garantie d’emploi qui avait été convenue avec l’un des salariés ;
situation d’une salariée en CDD successifs avec son employeur, alors que son poste visait en réalité à pourvoir à un emploi permanent de l’entreprise.
Les Juges ont donc entendu faire prévaloir une convention internationale ratifiée par la France sur une disposition légale nationale dont la constitutionnalité avait été parfaitement reconnue : la conventionalité sur la constitutionnalité.

Il est prévisible que d’autres décisions en ce sens suivent dans les semaines à venir.

Evidemment, cette position n’est pas unanime, d’autres juridictions ayant fait application du barème en le justifiant :

Le Conseil de Prud’hommes du Mans a expressément jugé le 26 septembre 2018 [4] que le barème Macron était pleinement applicable et n’était pas contraire au droit européen;
le Conseil d’Etat, a jugé que le barème des indemnités prud’homales était conforme aux dispositions de droit européen.

L’intérêt que l’on peut trouver à ce débat est qu’il fait ressortir un conflit entre deux écoles :

celle qui défend une indemnisation totale du préjudice, approche philosophiquement justifiée ;
celle qui recherche la sécurité juridique pour l’employeur, dans l’objectif de libérer l’embauche et qui procède donc d’une volonté politique, et qui peut donc être économiquement justifiée ; le peu de recul dont nous disposons ne permet pas de savoir si l’objectif poursuivi a été atteint.

Antinomiques, ces deux approches sont donc toutes les deux légitimes.

La suite…

Ce débat à fort enjeu politique et qui cristallise les crispations, doit évidemment être traité techniquement afin de déterminer si juridiquement les textes européens sont directement applicables en France, quand bien même ils sont contraires à des normes nationales dont la constitutionnalité a été reconnue.

Il convient à cet égard d’attendre les positions qui seront prises par les Cour d’appel saisies, et en dernier lieu par la Cour de cassation.

En tout état de cause, cette querelle démontre la complexité des rapports entre le pouvoir politique législatif et le pouvoir judiciaire.

Elle témoigne toutefois de l’existence de consciences politiques, et témoigne d’une démocratie bien vivante.

[1] Conseil de Prud’hommes de Troyes, 13 décembre 2018, RG n°18/00036

[2] Conseil de Prud’hommes d’Amiens, 19 décembre 2018

[3] Conseil de Prud’hommes de Lyon, 21 décembre 2018, RG n°18/01238

[4] Conseil de Prud’hommes du Mans, 26 septembre 2018, RG n°17/00538

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