Plus de quatre ans après l’instauration du barème d’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse (art. L. 1235-3 du Code du travail), la Cour de cassation s’est prononcée le 11 mai dernier sur sa validité et sa conformité avec l’article 10 de la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT)[1] et l’article 24 de la Charte sociale européenne[2] (Cour de cassation, 11 mai 2022, n°21-15.247 / Cour de cassation, 11 mai 2022, n°21-14.490).
Pour comprendre ces décisions, rappelons que l’article L. 1235-3 du Code du travail, issu de l’Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, met en place un barème d’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le barème
Concrètement, lorsque le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le juge fixe le montant des dommages-intérêts alloués au salarié dans la limite d’un montant plancher et d’un montant plafond (exprimés en mois de salaire). Il varie en fonction :
– de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise
– de la taille de l’entreprise.
L’objectif de ce barème est de permettre une meilleure prévisibilité. Et une sécurité juridique pour les employeurs amenés à devoir envisager un licenciement.
Toutefois, ce barème s’est heurté à une forte opposition de la part des organisations syndicales salariées. Et certaines juridictions en ont contesté l’application en soutenant qu’il convenait d’apprécier les situations des salariés au cas par cas. (C’est le cas notamment de la Cour d’Appel de Paris, des Conseils de prud’hommes de Troyes, Paris, Amiens, Lyon, Angers, Bordeaux, Martigues, Montpellier, Grenoble).
En effet, les opposants au barème considéraient que :
– la réparation prévue par le barème pouvait être insuffisante compte tenu du préjudice particulier subi par certains salariés au regard des éléments de leur dossier
– le barème était contraire à l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT. Et à l’article 24 de la Charte sociale européenne, textes qui reconnaissent aux salariés dont le licenciement est injustifié un droit à une réparation adéquate et appropriée.
Jusqu’alors, le Conseil constitutionnel avait déclaré le barème conforme à la Constitution (Conseil constitutionnel, 21 mars 2018, n°2018-761 DC).
Par ailleurs :
– le Conseil d’État a jugé « qu’il n’est fait état d’aucun moyen de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité » (Conseil d’État, 7 décembre 2017, n° 415243)
– la Cour de cassation a reconnu, dans deux avis, que le barème était compatible avec l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT. Et que l’article 24 de la Charte sociale européenne n’était pas d’applicabilité directe en droit interne (Cour de cassation, 17 juillet 2019, avis n°15012 et 15013).
Ce n’était cependant que des avis qui n’avaient donc aucune portée jurisprudentielle.
La position de la Cour de cassation était alors très attendue.
C’est chose faite puisque la Cour de cassation a jugé le barème conforme aux dispositions internationales du travail, en adoptant les positions suivantes :
1. Sur l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT (Cour de cassation, 11 mai 2022, n°21-14.490)
– D’une part, elle a jugé que le barème était conforme aux engagements internationaux de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT.
– D’autre part, par application de l’article 6 de la Déclarations des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, elle a refusé de se livrer à un contrôle de conventionnalité « in concreto» du barème.
– Pour rendre cette décision, la Cour de cassation s’est référée à une décision du Conseil d’administration de l’OIT retenant que le terme « adéquate » de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT signifie que l’indemnité pour licenciement injustifié doit :
-
- être suffisamment dissuasive pour éviter un tel licenciement
- raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée d’emploi.
S’appropriant cette analyse, la Cour de cassation juge donc que les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée d’emploi.
2. Sur l’article 24 de la Charte sociale européenne (Cour de cassation, 11 mai 2022, n°21-15.247)
– La Cour de cassation a jugé que la Charte sociale européenne n’était pas d’effet direct en droit interne. Et ne pouvait donc pas être invoquée dans un litige entre particuliers.
– Désormais, les juges sont strictement liés par le barème (plancher/plafond) pour allouer des dommages-intérêts aux salariés dont le licenciement est injustifié.
– En tout état de cause, il convient de rappeler que l’article L. 1235-3-1 du Code du travail déroge au barème de l’article L. 1235-3. Cet article dispose que le barème n’est pas applicable en cas de licenciement nul (licenciement intervenu en violation d’une liberté fondamentale, licenciement discriminatoire, harcèlement, licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, licenciement d’un salarié protégé, etc.).
En cas de licenciement nul :
– Le salarié peut demander sa réintégration. Et si celle-ci est possible, l’employeur devra verser au salarié l’intégralité des salaires qu’il aurait dû percevoir entre son licenciement et sa réintégration effective ;
– Si le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou si sa réintégration dans l’entreprise est impossible, alors le juge lui octroie une indemnité. A la charge de l’employeur, dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des 6 derniers mois, sans plafond. Il s’agit donc uniquement d’un montant plancher. Ainsi, le juge peut décider du montant des dommages-intérêts alloué au salarié au regard des éléments du dossier.
– Il n’est cependant pas exclu qu’un recours soit intenté prochainement devant que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
- [1] Art. 10 Convention n°158 OIT : « Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationale, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée »
- [2] Art. 24 Charte sociale européenne : « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître : b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».
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Crédit photo : Thierry Lamboley