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La gestion de l’incertitude dans les négociations M&A

By 22 septembre 2022octobre 6th, 2022No Comments

Les acquéreurs tentent de plus en plus d’introduire des clauses visant à ajuster le prix d’achat et à prévoir des portes de sortie en cas d’événement exogène, un article de BENOIT COLLET paru dans Le Nouvel Economiste

Complément de prix, cas de force majeure, gestion de la période intermédiaire… Dans les opérations de fusion-acquisition, les acheteurs ont toujours cherché à se protéger de retournements de marché imprévus ; encore plus aujourd’hui dans un contexte macroéconomique incertain, et alors que la sortie de pandémie a été favorable aux acquéreurs sur le marché M&A.

Cinq mille milliards de dollars. En 2021, le volume des fusions-acquisitions a atteint des niveaux historiques. Notamment dans le secteur des nouvelles technologies, en hausse de 64 % par rapport à l’année passée. C’est ce qui ressort du rapport ‘Global M&A Insights’, établi chaque année par le cabinet d’affaires Allen&Overy. Au sortir de la pandémie, la monnaie hélicoptère, les politiques de relance des banques centrales et le “quoi qu’il en coûte” permettent toujours aux investisseurs de disposer de liquidités abondantes pour lancer leurs opérations d’acquisition, d’autant qu’il y a pu y avoir en 2021 un phénomène de rattrapage des deals qui avaient été suspendus au plus fort de la crise sanitaire.

Ajouté à cela la guerre en Ukraine, on pourrait se dire que la conjoncture économique est plutôt favorable aux acquéreurs. Potentiellement en position de force dans un marché mondial frappé par les difficultés sur les chaînes d’approvisionnement et un contexte inflationniste. “Dès que quelque chose déraille, le marché devient pro-acquéreur, avec un impact sur les structures de prix”, analyse Philippe Malikian, co-responsable du département fusions-acquisitions au sein du cabinet Delsol, spécialisé sur les opérations small et midcap jusqu’à 50 millions d’euros. Et qui a récemment accompagné l’entreprise HelloWork, éditrice de sites d’annonces d’emploi, dans le rachat de la start-up Basile, spécialisée dans la numérisation des fonctions RH.

Material adverse challenge, la clause venue du monde anglo-saxon

La pandémie a laissé sa marque dans les négociations juridiques en matière de fusions-acquisitions. L’état d’urgence sanitaire et les confinements à répétition ayant sérieusement grévé l’activité dans bon nombre de secteurs, les équipes d’avocats ont dû trouver la parade juridique pour maîtriser l’incertitude. Et sécuriser les deals au maximum. D’où l’insertion de plus en plus courante de clauses MAC (Material adverse challenge) dans les contrats de cession. Principalement utilisées dans le monde anglo-saxon, ces dispositions particulières permettent à l’acheteur de sortir de la négociation en cas d’événement exogène aux deux parties. Et qui a un effet direct sur l’entreprise cible, entachant du même coup la rentabilité ou la pertinence stratégique de l’opération d’achat.

Les clauses MAC (Material adverse challenge) dans les contrats de cession permettent à l’acheteur de sortir de la négociation en cas d’événement exogène aux deux parties et qui a un effet direct sur l’entreprise cible

Tout se joue dans l’appréciation matérielle de ces conséquences – par exemple un confinement – pas toujours faciles à établir. L’acquéreur doit prouver que telle difficulté macroéconomique sur la chaîne d’approvisionnement, ou que telle sanction contre les banques russes, affecte de façon spécifique l’entreprise qu’il veut racheter. “Les négociations se tendent autour de la clause MAC, souvent sur de potentielles pertes de clients importants juste avant le closing du deal. Surtout dans le cas de sociétés cibles fragilisées par la conjoncture et qui possèdent un portefeuille resserré de clients”, constate Ariane Olive, avocate associée chez Spark, cabinet parisien spécialisé en M&A et restructuring. Lors des discussions juridiques, cette fameuse clause MAC, dont on entend de plus en plus parler, peut aussi être utilisée par l’acheteur comme un levier de négociation. C’est précisément ce qui s’est passé en pleine pandémie, lors du rachat du joaillier américain Tiffany & Co par le groupe LVMH. Invoquant la situation financière défavorable de sa cible due aux turbulences d’une économie confinée, le géant du luxe français a pu renégocier le prix à hauteur de 400 millions de dollars, faisant passer le coût de la transaction de 16,2 à 15,8 milliards de dollars. “Ce genre de subtilité juridique introduite dans les gros deals a un effet de contamination sur les négociations en small et mid cap, qui s’y mettent aussi. Tout l’enjeu se trouve au moment de la rédaction du contrat, quand il faut déterminer précisément les événements susceptibles d’activer la clause MAC”, pointe de son côté Adrien Debré, avocat spécialiste de M&A chez Cornet Vincent Segurel.

Earn-out : corréler le prix d’achat aux performances futures

La Covid-19, puis la guerre en Ukraine et l’inflation galopante n’ont pas autant entaché les valorisations des moyennes et grandes entreprises que certains commentateurs le craignaient au plus fort de la pandémie et au début du conflit dans l’est de l’Europe. Malgré tout, les investisseurs restent très prudents quant aux ajustements monétaires de leurs négociations. Là où il y a une dizaine d’années encore, les mécanismes de transactions à prix fixe, ou “locked box”, étaient utilisés dans les deux tiers des opérations françaises, à en croire une étude du cabinet CMS publiée en 2010.

“Nombreux sont les juristes à prévoir un recours de plus en plus généralisé aux clauses dites d’earn-out, ou complément prix, permettant de proportionner une partie du prix d’achat aux performances futures de l’entreprise”

 

Aujourd’hui, nombreux sont les juristes à prévoir un recours de plus en plus généralisé aux clauses dites d’earn-out, ou complément prix, permettant de proportionner une partie du prix d’achat aux performances futures de l’entreprise. L’acquisition comprend ainsi un montant fixe, payé tout de suite. Et un montant variable, fonction des résultats postérieurs que la cible générera. Une véritable couche de protection pour les acquéreurs, leur offrant la possibilité de se prémunir contre une rentabilité à la baisse de leur cible, ou un retournement de marché à court terme. “On voit de plus en plus de clauses d’earn-out très ciblées sur certaines performances financières, compte tenu des incertitudes de marché”, explique Alexandre Ancel chez Allen&Overy, le cabinet d’affaires international qui a récemment accompagné la Société générale dans la cession de ses filiales russes. Lui conseille surtout des large cap et des transactions transfrontalières. “Le prix peut-être revu sur une période de trois ou quatre ans maximum. Il s’agit selon moi d’une clause à risque, source potentielle de contentieux au moment des discussions sur les paramètres comptables”, poursuit le conseil.

Entre signing et closing : gérer la période intermédiaire

“Autre tendance observée ces derniers temps : les acheteurs demandent à avoir un contrôle renforcé sur leur cible pendant la période intermédiaire, comprise entre le signing et le closing”, poursuit Philippe Malikian de chez Delsol. Via toute une série de clauses de gestion intercalaire, les investisseurs cherchent ici à s’assurer que les hommes clés à la tête de l’entreprise convoitée ne quittent pas le navire. Ou à interdire des recrutements au-delà un certain montant de salaire d’ici le rachat. Un droit de regard qui va plus loin que la simple gestion en bon père de famille, et qui permet aux acheteurs de sécuriser leur acquisition durant cette période délicate. Mais il peut parfois se heurter à la réglementation en matière de droit de la concurrence et au fameux gun-jumping (règle anti-concentration interdisant à l’acquéreur de se mêler de certaines affaires de la société rachetée avant la finalisation du contrat).

“Les acheteurs demandent à avoir un contrôle renforcé sur leur cible pendant la période intermédiaire, comprise entre le signing et le closing”

Enfin, en matière de restructuring, tous nos interviewés s’accordent à dire que l’année passée et celle en cours n’ont pas été marquées par la vague de faillites tant redoutée pendant la pandémie. “Le marché est très contracté, peut-être un effet de la prolongation des prêts garantis par l’État”, soulève Ariane Olive. Mais sur ce segment M&A “distressed”, les clauses utilisées lors de la rédaction sont souvent les mêmes qu’en M&A classique, qu’il s’agisse de l’earn-out ou de la MAC. Bien évidemment, les délais de négociation sont bien plus courts. Le cédant étant dans l’urgence et sous la menace d’une procédure collective.

 

Dans le contexte post-covid, la difficulté peut alors résider dans la lourdeur des procédures d’audit. Au cours desquelles les acquéreurs doivent vite vérifier que la pandémie n’a pas définitivement coulé la cible, qu’il s’agisse de retards de paiement, de chaînes d’approvisionnement rompues ou de modifications de l’emploi salarié. Bien sûr, au cours de ce genre de négociations, l’un des risques principaux pour l’acquéreur est ce que l’on appelle “la nullité de la période suspecte”, qui fait courir le danger d’annulation du contrat au cas où l’acquéreur aurait été au courant de la cessation de paiements de sa cible avant la signature du contrat. L’investisseur doit alors être particulièrement vigilant à l’absence de cessation de paiements lors de l’audit. Et à ce que les vendeurs ne cherchent à provoquer la dissolution de la société cible. Pour se prémunir de ce risque, l’acheteur peut négocier une garantie de solvabilité qui lui permettra de se retourner contre les vendeurs en cas de problème.

Pour en savoir plus sur notre expertise en acquisition d’entreprise 

Cliquez ici pour découvrir l’article paru dans le Nouvel Economiste

pauline spark

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